Après Un
jour sans fin, il sera difficile de ne pas s'esclaffer à l'écoute
de la célèbre chanson I Got You Babe, interprétée
par Sonny and Cher. L'efficacité de cette comédie tient justement
à çà : un travail de sape, de recyclage burlesque, qui
convertit chaque acte et signe de normalité (le monde standard, le décor
standard, le tube standard) en grande manifestation de l'absurde. Le
pauvre Phil Connors (Bill Murray, excellent) est condamné à revivre
indéfiniment la même journée : le 2 février, jour
de la fète de la marmotte dans la petite ville de Punxutawney. Cynique,
pince-sans-rire et suffisant, Phil est un présentateur vedette de la
télévision. A contrecoeur et pour une seule journée théoriquement,
il doit couvrir cet "événement"...Seulement voilà,
honni soit qui mal y pense (le spectateur est lui aussi victime de ses a
priori moqueurs, c'est tout le délice du film), Phil se réveille
chaque matin avec la même chanson de Cher, et à la même date.
A l'instar de Jean-Marie Poiré avec Les Visiteurs, mais de manière
plus complexe, Harold Ramis (réalisateur de Ghostbusters) s'amuse
à bouleverser l'ordre de la temporalité. Le scénario est
intéressant car le personnage évolue malgré tout dans ce
dispositif figé. Il passe par différentes phases : le découragement
(tentative de suicide hilarante parce que forcément vouée à
l'échec), la transgression (vol, kidnapping), l'assistance à personne
en danger, etc. Il s'agit en fait d'un apprentissage, d'une quète effrénée
pour retrouver un semblant d'humilité. L'amour sera la solution miraculeuse.
Morale optimiste. Un jour sans fin marie finalement le rire à
l'intelligence. Il faut en profiter.
J.Mo. in Les Cahiers du cinéma, p.78, n°470.
Voici le film le plus réjouissant de l'été, concocté
par l'équipe du National Lampoon. Le pari de départ, cependant,
semblait impossible à tenir, et il convient d'en rappeler les bases :
le protagoniste (Bill Murray), présentateur météo fat et
arrogant, est assigné à un reportage crétinisant d'une
journée dans une petite ville provinciale, sur le "jour de la marmotte"
(à la fin de l'hiver, un animal mascotte est censé déterminer
le climat de la saison à venir). Bloqué par une tempète
de neige, comme par hasard, il doit passer la nuit sur place. Et lorsqu'il se
réveille le lendemain, c'est la même journée qui recommence,
au son d'une chanson de Sonny et Cher (que le spectateur n'écoutera plus
jamais de la même manière après avoir vu ce film) ...La
première stupeur passée, il s'emploie à influer sur les
événements dont lui seul sait qu'ils vont arriver. Mais il n'a
pour cela que vingt-quatre heures puisque, le lendemain, c'est encore le "jour
de la marmotte" qui va se reproduire. On reconnaît là un argument
typique d'une certaine littérature de science-fiction, procédant
d'une démarche similaire aux histoires de voyage dans le temps. Mais
si cet argument pouvait donner l'occasion d'une nouvelle ou d'un court métrage
bien troussé, le prodige scénaristique est de parvenir à
faire durer la ténuité de ce gag sur un film entier. Plusieurs
atouts concourent à la réussite, en premier lieu l'ingéniosité
d'un scénario jamais pris en défaut (si ce n'est lors d'une rassurante
mais conventionnelle résolution). La construction est remarquable : le
héros passe par plusieurs phases successives, toutes vraisemblables une
fois admise l'invraisemblabilité initiale. La surprise cède à
l'euphorie, lorsqu'il s'aperçoit du parti qu'il peut tirer de la situation
: élaborer une stratégie amoureuse sans faille (il se sert de
ce qu'il a appris "la veille" pour notamment éviter les gaffes),
perpétrer de bonnes actions (il prévoit les incidents ou accidents
et peut donc y remédier) ou se suicider sans douleur (un tour ludique
qui confine à la névrose). Puis survient le désespoir quasi
faustien du personnage tout-puissant perdant l'échelle des valeurs qui
pourrait le distinguer des autres (toute évolution à plus long
terme qu'une journée lui est interdite). Thématiquement, le film
se tient : la météorologie, science de la prévision sans
cesse dévoyée, est un cadre idéal pour cette fable de l'aléatoire
défait. Psychologiquement, il fonctionne de façon rédemptrice
: antipathique au début, le personnage acquiert une véritable
profondeur à mesure qu'il déjoue les embûches de la redondance.
Il apprend, par exemple, la tolérance et l'humilité. La mise en
scène, enfin, peut déployer (avec modestie: aucune surenchère
visuelle) une sorte d'acrobatie elliptique. Le système narratif du "jour
sans fin" rend le montage particulièrement excitant dans les séquences
où Murray tente de séduire la ravissante Andie MacDowell. Un
jour sans fin participe ainsi d'une belle trilogie estivale, avec Last
Action Hero de John Mac Tiernan et Panic sur Florida Beach/ Matinee
de Joe Dante, où le cinéma américain démontre que
dans le cadre d'une production commerciale "grand public" peut se
nicher une grisante autoréflexion sur le langage cinématographique.
Y.T., in Positif, p.52, n°392.