BATMAN, LE DÉFI
Analyse de la dramaturgie



Entreprise hollywoodienne à gros budget et qui se doit de rentabiliser la mise de départ (et donc de ne pas trop décontenancer le public), le film respecte par conséquent une narration classique. Seuls quelques signes d'énonciation, comme ce fondu au noir qui succède au gros plan de la gueule ouverte de l'Homme-Pingouin, se font remarquer mais ne viennent jamais déstabiliser l'illusion spectatorielle, fondement du plaisir cinéphile. Burton préférera apporter des éléments de subversion à l'intérieur même du récit et dans l'élaboration de ses personnages.

De façon pragmatique, l'action conduit à un rythme très soutenu l'enchaînement des séquences. Très souvent dans le film, une séquence met en scène un personnage et l'environnement dans lequel il évolue. La ou les séquence(s) suivante(s) fait/font de même avec un ou (d') autre(s) personnage(s) jusqu'à ce que l'addition de ces séquences résulte dans une autre séquence qui voit se rencontrer et bien souvent s'affronter les divers protagonistes vus auparavant de façon isolée.

Avec quatre protagonistes centraux dont trois à double identité (Bruce Wayne/Batman, Selina Kyle/Catwoman, Oswald Cobblepot/Pingouin, Max Shreck) les combinaisons sont multiples, Burton pouvant interchanger à volonté l'une de ces pièces pour produire de nouveaux effets et de nouveaux rebondissements dans l'intrigue. Ainsi chacun des personnages affronte en tête-à-tête les trois autres. L'inventaire de ces différentes rencontres donne le résultat suivant :

Batman-Catwoman (3 rencontres), Batman-Cobblepot (3), Batman-Shreck (1), Batman-Selina (1) ; Wayne-Selina (4), Wayne-Shreck (3), Wayne-Cobblepot (1), Wayne-Catwoman (1) ; Catwoman-Cobblepot (3), Catwoman-Shreck (1) ; Selina-Shreck (4), Selina-Cobblepot (1) ; Cobblepot-Shreck (7).

Le seul lien que Cobblepot entretient avec le monde civilisé se fait exclusivement par l'intermédiaire de Shreck, cet individu qui masque ses instincts sous une façade lisse et rassurante. Dans l'unique scène où il se trouve en présence de Wayne et Kyle (le bal costumé), le Pingouin ne s'adresse qu'à Shreck, aucun plan ne le réunit au couple Wayne/Kyle. Ainsi Cobblepot se voit nier l'accès à toute forme d'humanité et retournera dans les égouts.

Shreck brille par sa manière de manipuler les individus qui l'entoure. Par contre, son unique rencontre avec des êtres plus tout à fait humains marquera sa fin tragique. Cette séquence qui se ponctue par un "kiss of death" dévoile également l'un des aspects réjouissants du film, à savoir la mise en question du héros (traditionnellement) masculin. Ainsi Catwoman peut voir Wayne tandis que le pendant symétrique à cette rencontre - Batman/Selina - ne se produira jamais : l'homme ici fait tomber les masques et avoue (accepte ?) sa part de fragilité...