Ce qui se déroule
dans la musique de Batman Returns est à l'image de ce qui se passe dans
le film. Un extraordinaire voyage au cur des ténèbres et
au-delà du délire. Tous les styles elfmaniens sont passés
en revue, toutes les ambiances sont abordées, toutes les émotions
aussi, une BO fidèle au film : d'une richesse inépuisable.
Birth Of A Penguin : Scène d'ouverture et générique
du film. La meilleure scène d'ouverture de l'uvre de Burton et
l'un de ses plus incroyables génériques avec le voyage du berceau
dans les égouts, clin d'oeil biblique de folie pure. Le logo Warner apparaissant
dans les ténèbres avec ces quelques notes extrêmement graves
du thème de Batman. C'est surtout cette première note tenue par
une section de cordes qui impressionne, tout le film semble contenu dans cette
note d'ouverture qui donne le frisson. Et bien sûr ce n'est pas suffisant
car dès la première image du film (un tétanisant mouvement
de caméra sur maquette), Elfman envoie les churs et c'est un souffle
épique et ténébreux qui traverse littéralement l'image.
En quelques instants une atmosphère unique est décrite, ce sont
les échos d'une marche funèbre et grandiloquente qui deviendra
le thème principal du Pingouin. Grandes percussions, énormes mouvements
de cordes, emphase et surtout ces churs phénoménaux, les
mêmes que ceux d'Edward aux mains d'argent, sauf que, ici, les
ténèbres ont pris la place de la féerie. Cet incroyable
thème de Batman qui s'envole lentement sur de sombres violons, des cuivres
menaçants qui font trembler l'écran et bien sûr l'explosion
tant attendue et redoutée au moment où apparaît le titre
du film. On pourra hurler à l'effet facile, à la manipulation,
je n'y vois que du génie. Après avoir délivré une
scène d'ouverture en noir et bleu, glaciale, grotesque le début
du générique se déroule dans le noir complet et nous fait
visiter des égouts démesurés, des égouts de Metropolis.
C'est le frisson absolu d'un décor glauque et d'une musique funèbre
et déstructurée. Car le thème de Batman n'est plus cette
envolée orchestrale, certes très sombre, qu'il était dans
le premier film. Non, maintenant il est littéralement plombé par
des percussions monstres et des churs anarchiques, effets repris pour
Mars Attacks ! Rien de plus évident donc, que Batman Returns
ne ressemble à aucune autre film hollywoodien et ce, dès le générique.
The Lair : est une pièce beaucoup plus narrative que l'ouverture
et le générique. Ici ce sont surtout les effets collant aux images
qui comptent, le Pingouin étant présenté par ce mélange
de musique de cirque des ténèbres et de marche funèbre
qui transcende les images en leur conférant ce "grotesque tragique"
qui habite tout le film. Niveau composition et orchestration c'est tellement
admirable que des gens comme James Horner auraient pas mal de leçon à
prendre rien qu'à l'écoute de ce morceau.
Selina Transforms : l'une des séquences les plus puissantes et
les plus belles du film, qui encore une fois doit beaucoup à la musique
extraordinaire de Elfman. La résurrection de Selina Kyle est accompagnée
d'une incroyable montée de percussions en fusion avec des violons miaulant.
Ensuite ce sont les violons félins qui surgissent lentement, tout cela
en parfaite symbiose avec les images et surtout avec l'ambiance générale
de la scène et du film. Et il y a de la tristesse et des ténèbres
dans ces dissonances.
The Cemetery : scène en forme de carte de visite du film. Le cimetière
est un décor en studio baigné d'une lumière onirique, en
ces lieux le Pingouin, plus tragi-comique que jamais, déambule lentement.
Le grotesque de Batman Returns atteint son sommet et c'est tout simplement
du génie pur. Encore une fois la musique fait une grande part du travail.
Le morceau s'ouvre sur l'errance nocturne de Batman enfermé dans sa monstrueuse
batmobile dans les rues désertes de Gotham City enneigée. Puis
Elfman enchaîne sur la marche déjantée du Pingouin dans
la boue du cimetière, cela ne ressemble à rien de connu, c'est
unique, aucune musique orchestrale ne peut s'approcher de ces sonorités.
Le thème du Pingouin en envolée de violons c'est cela qui fait
que l'on croit totalement à la séquence.
Cat Suite : on débute sur une scène de combat de rue, ces
fameuses séquences figées et quasi parodiques qui sont en fait
le cota d'action imposé à Burton. Mais Catwoman rode, on entend
ces violons dès qu'elle se met dans l'idée de mettre à
sac un magasin de Shreck. L'ensemble est très narratif, la moindre action
étant soulignée à grand renfort d'explosions orchestrales
- mais c'est quand même bien moins didactique et redondant que 95% des
productions musicales hollywoodiennes. C'est tellement magique d'entendre les
violons félins de Catwoman si guillerets et tristes tout à la
fois - de cela encore Elfman se souviendra pour Nightmare before Christmas
(L'étrange Noël de Mr Jack). Et quelle recherche sur les rythmiques
: cela c'est l'école Oingo Boingo qui lui a appris. En tout cas c'est
beau d'entendre la confrontation entre les thèmes funèbres de
Batman et du Pingouin - qui est le plus tragique ? Le Pingouin gagne sur les
nuances car évidemment Batman est le plus figé de tous.
Batman Vs The Circus : la première scène d'action du film,
la première apparition de Bruce Wayne/Batman avec cette fameuse présentation
cadrée comme une BD. Ce qui n'aurait dû être qu'une courte
séquence musicale narrative devient une fabuleuse démonstration
de composition. Tout d'abord l'apparition de Batman, une nouvelle fois les notes
très graves, très menaçantes et très impressionnantes
du thème se font entendre. Celui-ci s'élève doucement et
explose : trompette, cordes, percussion. Le combat en lui-même est typiquement
ce que l'on attend de Elfman pour ce genre de scènes : une musique de
cirque (cela tombe bien les "méchants" font partie d'un cirque
!) Alors on repart dans la fête foraine déjantée que Elfman
affectionne tant. C'est d'une richesse incroyable et d'une efficacité
qui fait peur.
The Rise And Fall From Grace : les deux étapes de l'ascension
sociale et de la chute du pingouin, enchaînées au mépris,
comme dans tout le disque, de la plus simple chronologie. Shreck vient chercher
son candidat-victime, nous sommes dans les ténèbres du Pingouin
: un accordéon vient se glisser. C'est peut-être ici que l'on entend
le plus clairement les prémices de L'Étrange Noël.
La chute du Pingouin est plus narrative encore. On entend clairement le triomphe
du pingouin mais aussi Batman travaillant dans l'ombre. Et lorsque le Pingouin
choisit la résistance plutôt que de subir, l'orchestre s'emballe.
Bizarrement les thèmes de Batman et du Pingouin fusionnent presque à
cet instant. Une petite montée de chur pour donner de l'emphase
et Elfman peut enchaîner avec une grandiose reprise du thème du
Pingouin lorsque celui-ci vient retrouver sa vraie famille.
Sore Spots : encore des ténèbres pour la scène "chaude"
imposée et extrêmement ludique entre Bruce Wayne et Selina Kyle.
Les violons félins, forcément, se taille la part du lion. Et là
c'est carrément une fusion entre les violons de Catwoman et le thème
de Batman qui s'opère, idée simple mais d'une efficacité
merveilleuse.
Rooftops / Wild Ride : très longue séquence qui dans le
film tend aussi bien vers l'action que vers la psychologie pure durant les confrontations
fastueuses entre les divers protagonistes. Rooftops est très narratif
mais réserve de superbes instants de dissonances orchestrales et de churs
célestes : Catwoman toujours, une nouvelle fois assassinée, par
le Pingouin ici, une chute sur fond de churs et de violons qui sonne comme
The Nightmare mais en beaucoup plus impressionnant. Et on enchaîne
sur Wild Ride lorsque le Pingouin prend le contrôle de la Batmobile dans
l'une des séquences d'action les plus grotesques et les plus surréalistes
de l'histoire du cinéma. De la folie pure. Et la musique suit le rythme
et le crée évidemment. Le thème de Batman percute de nouveau
le cirque barge.
The Children's Hour : cette séquence est une étrange digression
qui n'en ait pas une en fait. Il était important de voir le Pingouin
se venger sur les enfants de Gotham. Certes, ce qui gêne le plus, c'est
la manière dont la scène est expédiée. On voit à
peine le train, on ne voit que l'ombre de Batman (mais d'où sort cet
éclair ?!?), en quelques secondes c'est fini. Et bien c'est peut-être
en cela que réside tout le génie de cette séquence qui,
comme, la première apparition de Batman, rend un hommage admirable à
la construction classique des Comics. Dans la première moitié
du morceau on entend le thème du Pingouin sous forme de boîte à
musique, c'est très amusant et finalement très beau, mais quand
le morceau est coupé pour enchaîner sur le train du cirque, cela
devient carrément impressionnant, surtout que la coupure est abrupte.
Ecoutez, on entend aussi bien le bruit du train avec la rythmique que le thème
du Pingouin, très agressif, au premier plan. Et au final c'est le thème
de Batman qui prend la place de celui du Pingouin dans la boîte à
musique.
The Final Confrontation : on arrive à la fin du film, tout va
s'enchaîner sans temps mort, tout dépasse le sublime. Le Pingouin
rassemble ses troupes, des pingouins lance-missiles. Rythmique militaire, puissance
orchestrale : on se croirait dans une scène coupée de Predator,
mais Elfman est quand même plus nuancé que Silvestri. Et l'enchaînement
avec le thème de Batman, toujours avec la rythmique militaire qui crée
toute la tension de la scène, devrait être étudié
dans les écoles de cinéma et de musique. Maintenant Elfman nous
fait ni plus ni moins que de la musique de cirque avec orchestre de 90 instruments
pour le tragique de la fête foraine, comme d'habitude et comme dans Darkman
en particulier. Elfman réussit donc à créer un étrange
suspens pour une scène aussi folle, la marche des pingouins dans la ville
déserte sonne comme l'Apocalypse, encore une fois on frôle le ridicule
et on le transcende. Et toujours le thème de Batman, plus martial que
jamais. Et même dans les moments d'accalmie il reste une tension sourde.
Elfman rend grandiose, épique, une séquence dans les égouts
et une attaque de pingouins... Dans la seconde partie du morceau la tension
monte encore. De l'emphase, toujours de l'emphase. Jusqu'au moment où
résonnent les violons de Catwoman, là il se passe quelque chose
de différent, Elfman insère la tristesse du personnage dans le
chaos de la séquence. C'est incroyablement beau, surtout lorsque Bruce
Wayne enlève son masque. Et pourtant la tension ne fléchit pas
d'un pouce, elle remonte peu à peu entre les violons dingues et les ambiances
orchestrales ténébreuses. L'explosion se fait attendre, c'est
le frisson absolu. Et lorsque enfin tout l'orchestre s'affole (qu'est-ce qui
explose ? les décors ou l'orchestre ?), c'est du tragique à l'état
pur. Et ce n'est pas fini ! Car le Pingouin revient, avec la plus belle variation
sur son thème. Elfman va réussir à nous faire pleurer sur
le sort de ce monstre grotesque bavant un sang verdâtre. Et à cet
instant le thème du Pingouin acquiert enfin sa reconnaissance en tant
que marche funèbre de grande qualité : on entend les cloches annonçant
le dénouement du film, comme d'habitude chez Elfman. C'est superbe.
The Finale : l'enchaînement entre le final et le générique
de fin est le moment le plus fort et le plus beau du film. C'est aussi vrai
pour la musique bien sûr car à cet instant Elfman fait presque
tout pour bouleverser au maximum. Le thème de Batman n'a jamais été
aussi triste, c'est la nuit de Noël la plus triste et la plus solitaire
qui soit. Les violons de Catwoman sont toujours là, comme un rêve
lointain et une impasse sombre et enfumée, le film est entièrement
dans le domaine du fantastique. L'orchestre fait tout vibrer. Le thème
de Catwoman revient une ultime fois, plus doux, les violons se font plus lointains.
Le thème de Batman monte lentement.
End Credits : le générique de fin enchaîne directement
avec le final où l'apparition de Catwoman, loin de toute concession commerciale,
sert au contraire d'apothéose poétique qui rend le film bien plus
triste encore. Et le thème de Batman explose littéralement mais
se retrouve rapidement totalement déstructuré par des churs
en folie mais mirifiques et des rythmiques martelant dans tous les sens. Le
thème du Pingouin monte doucement. Ce générique de fin
est ce qu'Elfman a composé de plus beau et émouvant avec la Ice
Dance d'Edward Scissorhands. La marche du Pingouin qui explose avec une
emphase sublime est d'un tragique à faire pâlir The Crow
(je parle de la BD pas du film). Et bien sûr Elfman achève littéralement
le film avec les violons miaulant de Catwoman dans une reprise du thème
magique.
Face To Face : nouveau problème, ceci est la chanson spécialement
écrite pour le film. Ce devrait être, comme toute bonne chanson
de film hollywoodien, une concession commerciale conçue pour faire vendre
la BO et l'album du groupe ou chanteur qui sévit dans le film. Et bien,
évidemment, ce n'est pas du tout, mais alors pas du tout le cas pour
Batman Returns. D'une part Danny Elfman coécrit le morceau. D'autre part
c'est Siouxsie & The Banshees qui s'y colle. Siouxsie & The Banshees,
groupe qui n'a jamais remporté d'énorme succès hors de
son Angleterre natale, groupe scandale au moment du punk, inventeur du gothique,
précurseur de la cold wave (sans eux pas de Cure), vétéran
de tous les styles, inclassable mélodiste et expérimentateur de
génie, l'un des groupes favoris de Tim Burton. Donc on ne peut pas vraiment
dire que cette chanson soit là pour rééditer le coup commercial
de Prince. Alors ce Face To Face ? Elfman apporte les violons de Catwoman, on
entend les percussions toujours originales de Budgie (qui a trouvé que
Elfman était trop "perfectionniste") des Banshees, il y a la
voix sublime de Siouxsie (et sa personnalité aussi, cela s'entend), les
textes sont magnifiques car ils résument assez bien ce qui se passe dans
l'esprit de Selina Kyle, en particulier au moment du bal quand on entend la
chanson. C'est donc une pure symbiose entre paroles, musique, images, ambiance.
Toutes les chansons originales pour le cinéma devrait prendre exemple
sur cette réussite bouleversante.
Musique composée par Danny Elfman
Album produit par Danny Elfman et Steve Bartek
Orchestration de Steve Bartek
Conduit par Jonathan Sheffer
Producteur exécutif : Tim Burton
Remerciements spéciaux de Danny Elfman à "Little" Timmy
Burton.
Disponible chez Warner Record.