La représentation
de la ville, dans les films de Science Fiction, permet à la fois de proposer
une vision plus ou moins fantaisiste d'un espace urbain inédit et, plus
profondément, de l'organisation de la société qui en résulte,
renouant ainsi avec la polis grecque. Très souvent, ils'agit de convoquer
différentes périodes, différents styles architecturaux
pour élaborer un nouveau modèle.
Dans Blade Runner (1982) de Ridley Scott, des bâtiments évoquant
les temples aztèques côtoient des façades d'immeubles servant
d'immenses écrans vidéo triomphe de la technologie nippone. Le
Los Angeles futuriste imaginé par Scott baigne dans une brume industrielle
éclairée par les lumières froides et artificielles des
enseignes et des néons. Ce sentiment de malaise et d'enfermement est
renforcé par le fait que très peu de scènes se passent
de jour. Ainsi la mégapole devient synonyme de déshumanisation
dans ce film où les "replicants" clones fabriqués de
toutes pièces sont parfois capables de plus de sentiments que les humains
eux-mêmes. Cette déshumanisation va de pair avec une organisation
stricte dans les rapports entre individus: la hiérarchie est clairement
visible dans l'organisation de l'espace. Le peuple vit dans un dédale
de rues mal éclairées balayées par la pluie. La plupart
des personnages principaux du récit (replicants policiers) évoluent
le plus souvent dans un espace intermédiaire qu'on peut difficilement
localiser dans le plan d'ensemble de la ville un espace constitué d'immenses
décors quasiment vides qui soulignent la solitude des protagonistes.
Le Professeur Tyrell en tant qu'inventeur des replicants est le maître
des lieux. Il vit donc fort logiquement au sommet d'un gratte-ciel appelé
science-fiction oblique Bradbury bâtiment auquel on accède par
des ascenseurs extérieurs. C'est d'ailleurs sur une porte d'ascenseur
se refermant que se clôt le film comme si la ville tentaculaire interdisait
dorénavant à ses habitants de s'en échapper.
Tourné plus d'un demi-siècle avant, Metropolis de Fritz
Lang (qui avant de devenir cinéaste avait suivi des études d'architecture)
ne reflète évidemment pas les mêmes craintes par rapport
à la ville. Dans les années 20 les idéologies de masse
étaient dominantes tandis qu'au début des années 80 elles
avaient perdu leur crédibilité, l'individualisme prenant leur
relai. Ainsi Metropolis évoque le monde des ouvriers foule anonyme
et manipulable en opposition à la bourgeoisie alors que Blade Runner
organise son récit sur des cas particuliers et autour d'une constellation
de personnages en proie à la solitude. On retrouve toutefois quelques
points communs dans la répartition géographique des personnages
qui s'établit selon un axe vertical. Le lumpen-prolétariat vit
dans les "profondeurs" tandis que la classe dirigeante se déplace
dans les hautes sphères parties supérieures de la ville. Les catacombes
où se tiennent les réunions d'ouvriers constituent un lieu idéal
pour les intrigues et les complots. L'antre du Pingouin dans Batman Returns
a cette même fonction d'une contestation venant du bas (les forces obscures)
qui défie le pouvoir en place (la lumière). A noter et c'est une
constante dans la représentation de la ville dans les films de science-fiction
que la circulation d'un lieu à un autre est assurée par un ensemble
de viaducs et de ponts ou par les airs avec des engins volants (comme quoi mais
on s'en doutait Luc Besson avec Le cinquième élément
n'a pas inventé grand chose...) ce qui permet d'éviter le fourmillement
inhérent au monde d'en bas lieu de la surpopulation (dans Blade Runner
on remarque de nombreux personnages d'origine asiatique continent où
la croissance démographique est très forte).
La déshumanisation qui s'appliquait à des cas particuliers dans
Blade Runner est dans le film de Fritz Lang montrée sur la masse
du prolétariat. Les personnages sont écrasés par le gigantisme
des décors notamment les escaliers menant aux "profondeurs"
- l'escalier comme chemin à suivre et donc destin tout tracé est
un motif visuel récurrent dans le cinéma expressionniste allemand
(cf. les imposants escaliers dans Les trois lumières du même Fritz
Lang).
Metropolis brasse également une multitude de références
notamment à la Grèce antique (colonnes des temples vêtements
des oisifs dans les jardins) et à la Bible (Moloch Babylone Babel) en
les reliant au monde contemporain soumis à une industrialisation excessive.
Face à cette mécanisation totalitaire l'ouvrier n'est plus qu'un
maillon pris dans un engrenage qui le dépasse ce que souligne la gestuelle
robotique des figurants et les plans nous montrant des écrous des leviers
et autres mécanismes. L'enfer dans ce film a un nom puisque l'être-machine
créé par Rotwang pour manipuler la foule s'appelle Hel.
Le film de Tim Burton est un cas un peu particulier dans la mesure où
il n'entre pas totalement dans la catégorie des films de science-fiction
son univers étant plus proche de celui des contes. Toutefois comme dans
Metropolis, I'enfer est clairement indiqué avec le néon
dans la chambre de Selina au moment de sa transformation en Catwoman de même
que la coiffure grotesque de Christopher Walken dans son interprétation
de Max Schreck ce financier manipulateur aux volontés démagogiques
rappelle la masse de cheveux hirsute de l'acteur allemand Klein-Rogge qui incarnait
le créateur fou Rotwang. Au petit jeu des références on
décèle dans le gigantisme de la statuaire par exemple des emprunts
à l'architecture fasciste comme le font de nombreux films de science-fiction
qui expriment ainsi la crainte de voir l'individu perdre son identité
dans une entreprise de grande envergure.
Mais Gotham City s'inspire pour l'essentiel du Rockfeller Center à New
York et la lecture de cet extrait mise en parallèle avec le film de Burton
montre bien que la représentation même sur un mode fantaisiste
et féérique d'une ville avec ces multiples implications permet
de dresser un portrait de société le plus vaste possible:
"Avec la réalisation du Rockfeller Center à New York dans
les années 193() l'intervention sur l'espace de la ville revêt
une ampleur sans précédent. Entre les années 1931 et 1940
les architectes Reinhard et Hofmeister avec H.W. Corbett et R. Hood érigent
treize immeubles de différentes tailles pour constituer une véritable
ville dans la ville dans la partie médiane de Manhattan le Midtown. Ce
complexe urbain qui s'étend de la Sixième Avenue (Avenue of the
Americas) à la Cinquième Avenue d'ouest en est et de la 51e à
la 48e Rue du nord au sud occupe plusieurs blocks du plan en damier. Gratte-ciel
de 70 étages et haut de quelque 260 mètres le RCA Building (Radio
Corporation of America) est traité comme une lame orientée est-ouest
sur sa longueur : c'est autour de lui que s'organise ce fragment de métropole.
Dans l'axe du bâtiment s'ouvrent les Channel Gardens qui le relient à
la Cinquième Avenue tandis qu'à ses pieds s'étend le remarquable
espace public de la place en contrebas dite Lower Plaza animée par la
statue dorée de Prométhée de Paul Manship. Le R.C.A. Building
donne le ton architectural des autres édifices de l'ensemble : revêtu
de plaques de calcaire gris de l'Indiana et de finitions en aluminium, il est
animé par des redents à divers niveaux. Les treize premiers buildings
construits dans les années 1930 possèdent une indéniable
unité stylistique et, de ce point de vue et sur un autre registre formel,
évidemment, le Rockfeller Center a pour ancêtre l'harmonie architecturale
de l'Exposition internationale de Chicago en 1893, la fameuse Columbian Exposition.
La symétrie du plan de masse et l'importance accordée aux espaces
publics attestent de la pérennité d'une certaine influence Beaux-Arts.
Des innovations urbanistiques ont été introduites dans le complexe.
Un réseau souterrain de galeries marchandes relie les immeubles entre
eux ; dans cette vision moderne des passages du XIX' siècle les piétons
peuvent circuler à l'abri des intempéries et gagner rapidement
les stations de métro. Pour les camions chargés de livrer les
marchandises nécessaires à la vie de ces gratte-ciel, des rues
souterraines ont été aménagées sous la zone réservée
au piétons. Ainsi la circulation à la surface du Rockfeller Centrer
s'en trouve-t-elle allégée. Mais surtout, il était prévu
à l'origine de relier au moyen de passerelles les toits jardins situés
sur plusieurs immeubles, dans une tentative pour rivaliser avec les jardins
suspendus de Babylone. Les visions de Hugh Ferris comme celles de Fritz Lang,
fasciné par I'activité de la métropole moderne auraient
ainsi reçu un début d'application. Ce projet n'a malheureusement
pas pu être exécuté. Ainsi le Rockfeller Center est-il une
expérience d'urbanisme vertical à plusieurs niveaux en partie
inachevée. Lorsque John D. Rockfeller acquiert en 1928 les terrains du
futur centre dans la zone du Midtown, il s'agit avec ses associés du
Metropolitan Opera d'y construire un gigantesque opéra, mais le désastre
de 1929 remet en cause définitivement le projet. C'est alors que pour
sauver sa mise, l'homme d'affaires s'oriente vers l'idée de construire
un ensemble de gratte-ciel en profitant de certaines clauses de la loi sur le
zoning (certaines hauteurs étaient possibles dans la mesure où
des places suffisamment grandes étaient aménagées). Ce
qui n'était au départ qu'une simple opération immobilière
se révéla être très importante par les solutions
proposées et même par les en jeux politiques soulevés par
cette entreprise. Comme l'écrit l'historien Manfredo Tafuri, "à
la faveur de ce bond qualitatif radical, l'initiative privée, susceptible
d'apparaître aux yeux de tous comme le dépositaire de valeurs communautaires,
engage implicitement une polémique avec le New Deal de Roosevelt"
(Architecture d'aujourd'hui n° 178, p. 8). Il n'est pas indifférent
qu'à l'époque de la Dépression économique et d'une
certaine politique fédérale interventionniste, la preuve ait été
faite de la capacité du monde des affaires à introduire un certain
ordre et un certain bien être dans la ville capitaliste, naguère
si décriée Par son échelle l'expérience du Rockfeller
Center, tentative prométhéenne pour donner un centre à
New York, reste unique dans l'histoire architecturale américaine, même
si ponctuellement des réalisations similaires ont pu être tentées
ailleurs, après la Seconde Guerre mondiale (à Pittsburgh par exemple).
En revanche, la notion de ville dans la ville que le Rockfeller Center a si
magistralement illustrée ne cesse d'intéresser les architectes
américains contemporains sous d'autres formes" (L'art des Etats-Unis,
Presse de la Citadelle).